"Pas de reprise pour les entreprises"

Tribune de Yves Poinsot, Directeur Général d'Atradius France - Les Echos, Octobre 2015

La France table sur hausse du PIB de 1% en 2015 et le gouvernement y voit le signe d'une reprise économique. Mais les entreprises souffrent des retards de paiement et restent préoccupées.

 

En dépit d’une croissance estimée à 1% en 2015 et d’un niveau de défaillances restant très élevé, nos gouvernants sont convaincus que la reprise est là, et veulent en persuader les Français. Vigies du développement économique, les chefs d’entreprise sont plus prudents, jugeant les dernières mesures annoncées insuffisantes. Car les carnets de commande peinent à se remplir dans plusieurs secteurs et peu de recrutements sont encore envisagés. De plus, les délais de paiement n’ont jamais été aussi longs, mettant la trésorerie des entreprises en difficulté, quand elles ne sont pas contraintes au dépôt de bilan.

La France compte désormais plus de 6 millions de chômeurs toutes catégories confondues (sur un an, le chômage a augmenté de 7,1%). Son déficit est estimé à près de 4% du PIB, pour atteindre un endettement total de plus de 2.000 milliards d’euros, soit près de 100% du PIB. Tout prouve que l’activité économique reste délicate, justifiant la prudence dont font preuve les entreprises.

 

 

Reprise en Europe, pas en France

Les trois leaders de l’assurance–crédit constatent en effet une stagnation de leur chiffre d’affaires en France, voire un léger repli. Avec 25.000 clients en portefeuille, de la PME à l’entreprise du CAC40, ce constat traduit incontestablement l’activité encore au ralenti du tissu économique français.

Pourtant, si l’on regarde le résultat des assureurs-crédit, il est possible de parler de reprise, mais au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Scandinavie, où ils sont également implantés. En France, pas encore.

Que voient-ils ? Que les délais de paiement, qui sont la principale préoccupation des entreprises, n’ont jamais été aussi longs. Malgré la LME de 2008, plus de 60% des entreprises assistent à une détérioration de leurs délais de paiement. Avec 14 jours de retard, ceux-ci atteignent un record depuis 10 ans, alors que le délai moyen accordé est de 34 jours .

Pour 60% des entreprises, la principale cause des retards de paiement est le manque de trésorerie. En dépit d’avancées législatives, près de 80% des entreprises disent ne pas réclamer les intérêts de retard, pour éviter des litiges et la perte de leur client. Ainsi, les retards de paiement domestiques sont en hausse de 10% ces deux dernières années.

Le délai moyen de paiement atteint 52 jours en moyenne (près de deux semaines de plus qu’il y a deux ans). Alors qu’il est de 48 jours pour l’Europe de l’ouest. On constate également un pourcentage de créances restant impayées plus de 90 jours après l’échéance plus élevé en France que dans le reste de l’Europe de l’ouest. Or l’accumulation d’impayés met rapidement une trésorerie en péril, avec pour conséquence, à plus ou moins long terme, le risque de défaillance de l’entreprise. La France est le seul pays où le nombre de faillites reste à un niveau aussi élevé (62.300 prévues en 2015).

Les secteurs du BTP, de l’hébergement-restauration, du meuble, de l’habillement, des transports routiers de fret sont les plus touchés. L’Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur concentrent les défaillances d’entreprises, représentant 26.000 faillites à elles trois .

 

 

Les entreprises dans l'expectative

Pour beaucoup d’entreprises, les prochains mois sont placés sous le signe de la prudence. En effet, le contexte reste instable. Leurs marges sont de plus en plus faibles. Leurs charges fixes sont à financer avec des fonds de roulement souvent bas. Ce qui peut d’ailleurs expliquer l’allongement des délais de paiement. L’investissement frémit, mais reste fragile.

Dans ces conditions, recruter n’est pas une priorité. Les entreprises préfèrent attendre que la reprise annoncée se confirme, avec un redémarrage net et durable de leur activité. De fait, le nombre de demandeurs d’emploi reste alarmant. Une récente enquête montre toutefois que l’intérim a augmenté de 2,6% en juillet . Un signe positif, bien que le chiffre d’affaires du secteur connaisse un parcours en dents de scie, qui masque une inquiétante dynamique : de juin 2011 à juin 2015, le nombre d'intérimaires a chuté de 7,3% .

Mais ne soyons pas totalement pessimistes. Les entreprises du CAC 40 affichent de bons résultats (espérons qu’elles ne souffriront pas trop de la crise chinoise…). C’est sûrement ce qui fait dire à nos dirigeants que la reprise est là. Peut-on en dire autant pour les TPE et PME qui constituent 95% du paysage économique français ? Il est encore trop tôt pour répondre, même si le climat des affaires s’est amélioré ces dernières semaines. Du reste, en voyant que les recettes de TVA n’augmentent toujours pas au moment où il cherche à boucler son budget 2016, l’Etat sait bien qu’il se réjouit un peu vite.