L'IA - une nouvelle frontière dans l'assurance-crédit

L'actualité d'Atradius

Stan Chang, directeur Group Buyer Underwriting, explique comment l'Intelligence Artificielle a révolutionné le monde des engagements de risques.

Je vais l'avouer. Je suis de la vieille école. « Old school » dans une société d'assurance-crédit prospère et centenaire qui a été construite sur un socle de fierté, de dimension humaine, d'expertise et d'un service « Etoile d'or ». De retour en 2016, mon approche de l'économie, de la finance et de la gestion des risques était ancrée dans des théories classiques et des modèles anciens, qui ont été propulsés dans un déconcertant nouveau monde. C’est la nouvelle tendance du Big Data, de l'Intelligence Artificielle (IA) et du Machine Learning (ML) qui, selon les consultants et les technocrates, va transformer et perturber. Selon eux, la numérisation a fait naître l'ère de la quatrième révolution industrielle.

 

Stan Chang | Atradius

Stan Chang, Atradius

 

 

 

Pourquoi est-ce important ? Atradius vend de l'assurance-crédit (du cautionnement, du recouvrement et de l'information). Nous indemnisons les entreprises lorsqu'elles subissent un impayé. Nous avons dans nos livres, 780 milliards d'euros d’engagements en limites de crédit, qui soutiennent des volumes d'échanges commerciaux.

Le travail des analystes d'Atradius est très simple : nous prenons des décisions de limites de crédit sur les demandes de nos clients pour couvrir leurs acheteurs. Nous traitons environ, 20 000 demandes de crédit par jour et nous surveillons les risques de défaillance des acheteurs de nos clients.

Il s'agit maintenant de répartir 780 milliards d'euros d'exposition au risque de crédit sur 50 pays, et plusieurs centaines de millions d'acheteurs dans 230 pays qui font du commerce dans 700 secteurs commerciaux, allant de l'agriculture à l'aéronautique. Avec des conditions commerciales erratiques, des cycles économiques changeants, une géopolitique tumultueuse, des paysages d'information fragmentés, des cadres juridiques disparates et des profils de clients variés, la liste est longue... tous convergeant vers le risque de crédit, le simple devient rapidement complexe.

Le fait est que notre modèle économique centenaire repose sur des experts des données et des systèmes, contre vents et marées, et qu'il est financé par des taux de primes compétitifs, qui nous permettent de rester affûtés. Alors, vieille école ou pas, le spectre de l'IA, qu'elle se heurte à notre entreprise, qu'elle l'adopte chaleureusement ou qu'elle disparaisse dans l'histoire, pose deux questions incontournables. Sommes-nous en train de nous endormir sur nos lauriers face à la quatrième révolution industrielle ? Et que faisons-nous à ce sujet?

Sept ans plus tard, ces questions lancinantes nous ont fait sortir de notre « lit » de réussite. À l'heure où j'écris ces lignes, nous développons rapidement des outils propriétaires d'IA et de ML - tant sur le plan fonctionnel que géographique - qui pilotent nos activités d’analyse des risques de crédit. Ces outils de nouvelle génération aident nos arbitres à réaliser des gains d'efficacité supplémentaires et à obtenir des performances supérieures en matière d’arbitrage, ce qui leur permet de rester en deçà de la courbe de maturité de performance, des pratiques et outils utilisés hier.

Voici comment nous en sommes arrivés à ce point. Nous avons identifié des activités à haute fréquence dans notre modèle opérationnel auxquelles nous pourrions appliquer la technologie Big Data. C'était un bon point de départ, car l'utilisation de nouvelles technologies pour faire des activités familières est ainsi tirée vers le haut en qualité et galvanise le suivi interne. L'important n'est pas ce que nous faisons, mais comment (et pourquoi) nous le faisons. Parmi nos missions figure la collecte d'informations, le traitement de cette information et la prise de décision de limites de crédit - qui, la plupart du temps, sont effectuées plusieurs milliers de fois chez Atradius à travers le monde.

Tout d'abord, nous avons commencé par construire des API (Application Programming Interface) pour amplifier nos capacités de collecte d'informations. D’accord c’était insuffisant ! Mais il était alors passionnant d'intégrer automatiquement dans nos bases de données des dizaines de milliers de documents financiers d'entreprises, ce qui a permis de remplacer le travail manuel et de réduire la dépendance à l'égard de traitements extérieurs. Nous avons ensuite mis à l'échelle les API, les webcrawlers (des métamoteurs) et le machine learning pour parcourir le World Wide Web. Progressivement dans plusieurs langues (humaines), 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Consultant des centaines de milliers de sources ouvertes, notamment des publications d'actualités, des annonces d'entreprises, des avis d'analystes, des offres d'emploi, des campagnes de produits, des données géographiques et des médias sociaux. Et surtout, nous rattachons automatiquement et de manière fiable ces informations aux entités de nos bases de données. C'était un obstacle pendant longtemps, alors quand la solution est arrivée, c'était comme « une clé » magique. L'innovation n'a pas besoin, ou ne veut pas, de toutes les réponses dès le départ ; il est bien plus important de poser les bonnes questions.

Avec les montagnes d'informations que nous récoltions, nous aurions sûrement besoin d'une armée d’analystes pour les passer au crible ? Nous avons trouvé notre réponse, non pas en Inde ou en Roumanie, mais sous la forme d'un logiciel de traitement du langage naturel. Le NLP (natural language processing) est un type d'IA que nous avons utilisé pour co-construire des modèles personnalisés, afin d'imiter la lecture humaine des rapports financiers et de trier les informations riches mais chaotiques de l'internet. Il n’est pas besoin de rappeler que les machines lisent en quelques secondes ce qui prend des heures aux humains. Les données du web sont bien plus complexes et diverses que les rapports financiers, mais la sophistication du NLP et des écosystèmes qui utilisent l'apprentissage automatique, la classification, les graphes de connaissances, les taxonomies, la reconnaissance d'images et l'analyse des sentiments repoussent les frontières dans ce domaine. Ce qui, autrefois, aurait pris des heures de recherche à un analyste, lui est livré sur son bureau avant même qu'il ait fait son café du matin.

De la collecte d'informations à la lecture automatique, notre voyage sur le Big Data s'est gradué en analyse automatique (utilisation de machines pour prendre des décisions de crédit). Après un an et demi de collaboration, de prototypage et de tests, nous faisons rapidement migrer nos algorithmes et arbres de décision traditionnels vers une plateforme d'IA et de ML qui utilise des réseaux neuronaux. Que vous soyez un arbitre, un credit manager ou un DSI, le Saint Graal de la décision automatique est de fournir des résultats cohérents qui diminuent les sinistres en nombre et en montant (grâce à une capacité prédictive supérieure), augmentent les revenus de primes (grâce à un taux d'acceptation plus élevé), et entraînent des coûts de production plus faibles (via des décisions plus automatiques) et une satisfaction accrue des clients (plus de protection, moins de pertes, des temps de réponse plus rapides). Et nous avons tenu parole.

Alors oui, combiner les valeurs de la vieille école avec la science du nouveau monde, voilà comment nous nous transformons progressivement. Au-delà de l'IA et du ML, il existe un terreau technologique fertile - le cloud, la science des données, la robotique, les plates-formes de commerce électronique, les ERP et les écosystèmes connectés - qui offre de gains conséquents à ceux qui y croient, et plus précisément à ceux qui agissent. Ces gains vont des économies de coûts aux gains de productivité, en passant par la satisfaction des clients, les nouvelles offres et, si l'on ose rêver, les nouveaux modèles d'entreprise qui, un jour, changeront la donne.

Tout bien considéré, l'innovation est inextricablement liée à l'évolution humaine, et la relation entre l'homme, la machine et l'argent qui continuera à façonner la société et les espèces futures. Pour l'instant, je préfère considérer la technologie comme un moyen de parvenir à une fin, en exécutant des tâches trop difficiles, trop ennuyeuses ou trop coûteuses pour que les équipes puissent les accomplir correctement. L'intelligence artificielle annoncera un âge d'or pour l'humanité si nous apprenons à devenir de meilleurs humains. Mais c'est encore ma façon de penser de la vieille école.

Article initialement publié dans Insurance CIO Outlook