
Une accalmie relative dans la guerre commerciale sino-américaine, mais la tension persiste
Un semblant d’accalmie s’est installé dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine après la conclusion d’un accord à Londres à la fin du mois dernier. Toutefois, une nouvelle phase de conflit par procuration pourrait s’ouvrir. Si la confrontation directe entre les deux plus grandes économies mondiales s’est atténuée pour le moment, Washington porte désormais son attention sur les voisins asiatiques de la Chine.
L’accord conclu à Londres prévoit un droit de douane américain de 55% sur les produits chinois non exemptés, tandis que la Chine imposera une taxe de 10% sur les importations en provenance des États-Unis. Certaines restrictions sur la circulation de biens et de matériaux dans les deux sens seront assouplies, et les étudiants chinois conserveront l’accès aux universités américaines.
Même si cet accord constitue une avancée positive pour le commerce mondial, les récents développements à Washington montrent que les hostilités sont loin d’être terminées. De nouvelles annonces de droits de douane américains visent plusieurs économies asiatiques, avec des taux compris entre 20% et 40%. Cela vise au moins en partie à empêcher la Chine de contourner les taxes américaines en redirigeant ses marchandises via ses voisins d’Asie du Sud-Est.
Depuis quelque temps, la Chine modifie en profondeur la cartographie du commerce mondial, en réponse à la tension commerciale avec les États-Unis et à des facteurs structurels de long terme. Cette stratégie a créé des opportunités pour les entreprises capables de maîtriser les avantages régionaux, les régimes tarifaires et l’évolution des politiques commerciales. Mais comme le montrent les nouvelles annonces de l’administration Trump, ces mutations accentuent aussi les risques.
L’Asie du Sud-Est, qui a profité ces dernières années des tensions commerciales sino-américaines, se retrouve désormais menacée à son tour par de nouveaux droits de douane américains et devra jongler de plus en plus difficilement avec les exigences de Washington et de Pékin. Pour les entreprises internationales, la conséquence la plus probable reste une exposition géopolitique accrue, des exigences de conformité toujours plus complexes et un surcroît de risque crédit.
L’Asie du Sud-Est confrontée à de nouveaux risques pour sa croissance
Au fur et à mesure que les industriels délocalisent, les routes commerciales évoluent. Pendant le premier mandat Trump et plus tard avec la pandémie de Covid, la redéfinition des chaînes logistiques mondiales a offert d’importantes opportunités aux pays émergents d’Asie du Sud-Est. La région est devenue un maillon clé des chaînes de valeur mondiales, bénéficiant à la fois des stratégies de diversification occidentales et chinoises, ainsi que des mesures de la Chine pour atténuer l’effet des droits de douane.
L’essor du commerce et de l’investissement stimule la croissance économique au Vietnam, en Thaïlande et en Indonésie. Récemment, la Chine a davantage réorienté ses échanges via l’Asie du Sud-Est pour limiter l’impact des taxes. Les données sur les réexportations c’est-à-dire les biens exportés dans le même état que leur importation montrent une forte progression à Singapour et Taïwan, deux pays soumis à des droits américains bien moins élevés que la Chine.
Mais de nouveaux développements à Washington viennent menacer ces progrès régionaux. À l’origine, le président Trump a imposé, puis suspendu, une série de “droits de douane réciproques” à des pays comme le Cambodge, le Laos, le Vietnam, le Sri Lanka, le Bangladesh, la Thaïlande, l’Indonésie, l’Inde et la Malaisie.
Tout récemment, Washington a prolongé la suspension de ces droits, qui devait expirer en juillet, jusqu’au 1er août. Mais dans le même temps, les autorités américaines ont commencé à publier les détails des tarifs qui s’appliqueraient en l’absence d’accords commerciaux. Dans une série de lettres, le président Trump a ainsi menacé le Japon et la Corée du Sud de droits de 25% si les négociations échouent, tandis que le Cambodge risque un taux de 36%, et le Myanmar ainsi que le Laos, des droits de 40%.
Le modèle vietnamien
Et si les discussions aboutissent et que des accords sont conclus ? On peut s’inspirer du récent accord commercial américano-vietnamien. Cet accord impose un droit de 20% sur les importations vietnamiennes aux États-Unis, un taux inférieur à ceux appliqués à la Chine ou à ceux menaçant les autres pays de la région. Le Vietnam semble ainsi profiter d’un avantage régional.
Mais cela comporte certaines limites. D’une part, à l’approche de l’échéance du 1er août, les voisins du Vietnam chercheront eux aussi à conclure des accords et pourraient obtenir des conditions comparables ou meilleures.
Surtout, l’accord avec le Vietnam prévoit également un droit de 40% sur les transbordements. Pour l’instant, la définition précise de “transbordement” dans ce contexte demeure floue. Si ce taux ne s’applique qu’aux marchandises chinoises mal étiquetées, l’impact resterait modéré. En revanche, s’il concerne tous les biens contenant des intrants chinois, et si cette clause est intégrée dans les accords signés avec d’autres économies asiatiques, cela pourrait sérieusement remettre en cause la dynamique de croissance et d’investissement dans la région.
La stratégie de la Chine dépasse largement la simple atténuation des droits de douane à court terme.
Avantages locaux au-delà de l’effet « anti-droit de douane »
Les stratégies de transbordement ne sont pas les seuls moteurs des mutations observées dans le commerce mondial.
« La Chine réoriente effectivement ses échanges via l’Asie du Sud-Est afin de limiter l’impact des droits de douane et de diversifier ses marchés d’exportation, » explique Bert Burger, économiste chez Atradius. « Mais sa stratégie va bien au-delà de la simple mitigation tarifaire de court terme. Depuis un certain temps déjà, les industriels chinois implantent également des sites de production en Asie du Sud-Est afin de tirer parti des avantages locaux. »
Parmi ces atouts : des salaires inférieurs, des subventions fiscales attractives, et la volonté de se rapprocher des marchés à forte croissance, la demande pour les produits chinois s’accélérant dans de nombreux pays de l’ASEAN.
C’est également la logique de la stratégie « China+1 » adoptée par nombre d’entreprises occidentales : conserver une implantation en Chine tout en diversifiant la production vers d’autres pays asiatiques. Cette tendance, observée depuis la première présidence Trump (durement marquée par la guerre commerciale) et amplifiée avec les perturbations logistiques liées à la pandémie de Covid, perdure aujourd’hui. Reste à savoir pour combien de temps.
L’Asie du Sud-Est dans l’expectative
Les récents développements à Washington menacent de remettre en cause l’intérêt de la stratégie « China+1 ».
Des droits de douane du niveau actuellement envisagé, notamment avec des surtaxes sur les transbordements, réduiraient sensiblement l’attrait de la région comme plateforme industrielle et d’exportation. Les entreprises chinoises, en particulier, accéléreraient alors leur relocalisation nationale si leurs voisins asiatiques ne présentent plus d’avantage compétitif significatif.
Et même si nombre d’économistes s’attendent à la conclusion de nouveaux accords dans les semaines à venir, l’incertitude qui pèse sur les niveaux de droits pourrait encore retarder ou réduire les investissements dans la région, les entreprises occidentales comme chinoises préférant attendre un éclaircissement.
« La stratégie China+1 a longtemps eu la cote, mais elle est désormais sous pression. Si Trump finit par imposer de fortes taxes sur les transbordements de la Chine via l’Asie du Sud-Est vers les États-Unis, son efficacité serait fortement réduite », précise Bert Burger.
La diversification des chaînes asiatiques en question
Pris isolément, le récent accord sino-américain ne changera sans doute pas la marche vers des chaînes d’approvisionnement asiatiques plus diversifiées. Certes, le tarif de 55 % appliqué aux produits chinois représente une nette baisse par rapport au 125 % annoncé en avril, mais il reste bien supérieur aux droits en vigueur pour les autres plateformes régionales. Si les tarifs envisagés contre la Thaïlande, l’Indonésie, la Corée du Sud ou d’autres pays sont effectivement appliqués, ou si de futurs accords reprennent le modèle vietnamien, toutes les stratégies pourraient être à revoir.
« Les pays d’Asie du Sud-Est espéraient capitaliser sur l’essor des investissements et échanges, avec des entreprises soucieuses de diversifier et d’atténuer les risques liés à la tension US-Chine, » relève Dana Bodnar, économiste chez Atradius. « Mais si Washington met réellement en œuvre ses droits de douane, y compris sur les transbordements, la région perdra beaucoup de ses avantages compétitifs en matière de fabrication et de logistique. »
Entre opportunités et nouveaux risques pour les entreprises
Dans ce climat incertain, les entreprises identifient à la fois des opportunités et des risques.
Pour les industriels, équipementiers auto, distributeurs et autres, les marchés asiatiques alternatifs pour les matières, produits et composants renforcent la résilience des chaînes d’approvisionnement. La concurrence accrue peut aussi offrir des avantages coûts. Les groupes qui diversifient vraiment leurs implantations en Asie du Sud-Est se prémunissent contre d’éventuelles nouvelles tensions commerciales US-Chine et bénéficient de salaires plus bas et de subventions publiques.
Mais la diversification géographique n’est une réelle protection que si le nouveau point d’ancrage industriel échappe à une éventuelle salve tarifaire américaine.
« Beaucoup d’économies d’Asie du Sud-Est enregistrent un boom de leurs exportations vers les États-Unis et l’UE, mais si les droits américains finaux vont de 20 à 40 %, avec en prime des surcoûts pour les transbordements, cela rognera fortement les marges et la trésorerie des exportateurs », alerte Dana Bodnar. « Ce qui accroîtra mécaniquement les risques de retards de paiement et de défauts, notamment sur le segment B2B. »
Si les droits de douane envisagés par Washington sur la région se concrétisent, bon nombre de ses avantages en matière de production et de réexportation pourraient disparaître.
Des droits de douane à des niveaux aussi élevés ne seront peut-être jamais appliqués, mais il est actuellement impossible d’en avoir la certitude. Par ailleurs, un paysage commercial mondial plus diversifié et complexe apporte son lot de nouveaux défis. Les pratiques de réexportation, associées à une transformation limitée dans les pays intermédiaires, pourraient susciter des litiges sur l’origine des marchandises et la fraude aux droits de douane, accroissant ainsi l’exposition aux risques politiques et réglementaires. La conformité devient d’autant plus complexe lorsque les biens franchissent de multiples frontières.
À ce stade, la situation demeure très évolutive, et la seule certitude est la transformation de la géographie du commerce mondial. Les pays d’Asie du Sud-Est pourraient encore en tirer parti, mais à condition de réussir le difficile exercice de satisfaire à la fois les États-Unis et la Chine. Les entreprises perçoivent également des opportunités, mais évoluer dans cet environnement mouvant exige expertise et anticipation. Le commerce international évolue, et aussi bien les États que les entreprises devront s’adapter.
- De nouveaux droits de douane américains visent plusieurs économies asiatiques.
- Cela traduit un contrôle accru par les États-Unis des routes d’approvisionnement et des stratégies de contournement commerciales.
- Pour les entreprises internationales, la conséquence la plus probable sera une exposition géopolitique croissante, une complexité réglementaire renforcée et un risque crédit accru.
- La seule certitude dans ce contexte mouvant est l’évolution permanente du paysage du commerce mondial.