La réunion annuelle des économistes et ministres des Finances du FMI s’est tenue dans un contexte mêlant résilience, incertitude et accélération vers un commerce mondial multipolaire.
Les participants à cette réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI), ont pu repartir ce mois-ci avec un profond sentiment d’incertitude. L’économie mondiale est-elle en meilleure posture que prévu, ou bien au bord du gouffre, un pied déjà dans le vide ?
Les messages contradictoires étaient omniprésents. À Washington, les économistes parlaient de résilience face aux tensions commerciales. Mais en dehors des salles de réunion, la Chine et les États-Unis échangeaient des coups durs sur les droits de douane et les éléments de terres rares.
Les ministres des Finances ont été informés que l’investissement sans précédent dans l’intelligence artificielle représentait à la fois un rempart contre la stagnation économique et une source majeure d’inquiétude.
Dans cette tempête, la seule certitude est l’incertitude. Le commerce mondial est en pleine mutation. Les restrictions à l’exportation de matériaux rares imposées par la Chine montrent une superpuissance économique prête à montrer les dents. Parallèlement, la politique tarifaire imprévisible du président Trump met les alliances à rude épreuve, mine la confiance et redirige les flux commerciaux.
Alors que Pékin s’impose comme un rival stratégique et économique des États-Unis, la transition vers un monde multipolaire s’accélère.
Quelle que soit l’issue de cette situation, le message principal de la réunion annuelle du FMI est clair : les entreprises doivent se préparer à un nouveau paysage du commerce mondial. L’affrontement entre superpuissances économiques engendre de réels risques, mais le nouvel ordre économique offre également des opportunités.

La bonne nouvelle : les économies résistent
L’un des thèmes majeurs de l’événement du FMI était la résilience. Malgré les pressions exercées par la politique tarifaire de Washington, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, ainsi que les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, l’économie mondiale tient relativement bon.
Dans ses dernières Perspectives économiques publiées en juillet, Atradius prévoyait une croissance mondiale de 2,4 % en 2025 comme en 2026, portée en grande partie par les économies émergentes. Ce n’est pas exceptionnel, mais cela reste un progrès. Une telle résilience face à des perturbations majeures s’explique par plusieurs facteurs.
« L’impact inflationniste des droits de douane américains reste limité jusqu’à présent », déclare John Lorié, économiste en chef chez Atradius. « La structure tarifaire actuelle des États-Unis demeure restreinte en termes de portée et d’ampleur, et des décisions juridiques à venir pourraient amener l’administration à revoir son approche. Par ailleurs, les droits de douane ont freiné la demande et introduit une certaine incertitude, ce qui a temporairement atténué les pressions sur les prix. Nous prévoyons toutefois une hausse de l’inflation américaine d’ici la fin de l’année. »
Parmi les autres facteurs figurent une politique budgétaire américaine offensive, qui stimule la consommation des ménages à hauts revenus, ainsi que l’essor de l’intelligence artificielle. Les investissements dans l’IA créent un effet de richesse et soutiennent la demande, en particulier aux États-Unis. Le commerce de biens liés à l’IA contribue également à soutenir les échanges mondiaux.
L’Europe a créé la surprise avec des résultats meilleurs qu’attendus : l’inflation et les taux d’intérêt se stabilisent autour de 2 %. Le choix de ne pas riposter fortement aux provocations tarifaires des États-Unis a également joué un rôle positif. Ces éléments soutiennent des perspectives régionales plus favorables pour 2025.
Nous prévoyons une hausse de l'inflation aux États-Unis d'ici la fin de l'année.
La redirection des échanges s’accélère, redessinant la carte du commerce mondial.
Le commerce lié à l’IA a été l’un des moteurs de la croissance mondiale des échanges, qui a atteint 2,4 % au second semestre 2024. L’anticipation des commandes pour contrer les menaces des tarrifs douaniers, ainsi que l’intensification des échanges entre pays du Sud global, ont également joué un rôle.
Notre propre analyse montre que cette anticipation a aussi soutenu la croissance du commerce au premier trimestre 2025. Toutefois, nous prévoyons une contraction au second semestre. Nous estimons que la croissance du commerce ralentira à 1 % sur l’ensemble de l’année 2025, avant de remonter à 2 % en 2026. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) se montre plus pessimiste, avec une prévision de croissance limitée à 0,5 % cette année. La croissance des échanges sera particulièrement faible aux États-Unis, au Canada et au Mexique.
Le sentiment général au FMI était que, malgré un commerce mondial modéré, la situation reste stable mais les flux commerciaux évoluent. « La redirection des échanges s’accélère, avec une montée en puissance de l’Asie du Sud-Est », explique John Lorié. « Cela reflète les efforts des entreprises pour contourner les droits de douane ou les menaces tarifaires, et diversifier leurs chaînes d’approvisionnement. »
Malgré de fortes pressions, le commerce continue de fonctionner dans un cadre fondé sur des règles, et une certaine stabilité est maintenue. Près de 80 % du commerce mondial s’effectue encore selon les règles existantes, et ce malgré l’isolationnisme des États-Unis et les dysfonctionnements majeurs du mécanisme de règlement des différends de l’OMC.
Le système fondé sur des règles continue de fonctionner grâce à des arrangements créatifs et à des cadres bilatéraux qui permettent de préserver les principes fondamentaux. Cependant, les entreprises réclament davantage de prévisibilité, et la réforme de l’OMC reste une priorité.
La redirection des échanges s’accélère, avec une part croissante pour l’Asie du Sud-Est.
La résilience masque un risque croissant
La résilience des économies et du commerce face à de fortes pressions est encourageante mais peut-elle durer ?
Nous prévoyons une croissance de seulement 1,3 % pour les économies avancées en 2025 et 2026, et même ce progrès modeste reste incertain. La menace la plus évidente, largement évoquée lors de la réunion du FMI, est une intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Un tel scénario pourrait faire chuter la croissance mondiale à un niveau proche de zéro en 2026.
La montée des tensions les jours précédant l’événement a illustré de manière frappante les risques évoqués. La Chine a restreint l’exportation de terres rares, des composants essentiels dans de nombreux produits, sur lesquels elle détient un quasi-monopole. En réponse, Donald Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 100 % sur les importations chinoises. Depuis, le ton s’est quelque peu adouci, mais l’attitude affirmée de la Chine est révélatrice : l’ère de l’hégémonie commerciale américaine touche à sa fin.
La complexité de la situation réside dans le fait que les deux puissances sont enfermées dans une relation toxique. Les États-Unis (comme le reste du monde) ont besoin des terres rares chinoises, tandis que la Chine dépend des semi-conducteurs avancés américains une interdépendance fragile. Les entreprises doivent se préparer à des cycles récurrents de tensions et d’accalmies, ainsi qu’au risque permanent de perturbations des chaînes d’approvisionnement.
D’autres menaces pèsent sur la résilience économique, notamment la surévaluation des marchés boursiers, alimentée par des investissements massifs dans l’IA, et le problème croissant de la dette publique. « La soutenabilité de la dette est une source d’inquiétude aux États-Unis, au Japon et dans certaines parties de la zone euro, alors que le coût de l’endettement public augmente », explique John Lorié.

Le nouveau multilatéralisme : un signal d'alarme pour les entreprises
Pour les entreprises, tout cela se traduit par une accumulation d’incertitudes. Prendre des décisions d’investissement est déjà complexe dans un climat économique fragile ; cela l’est encore plus lorsque les tensions commerciales sont fortes et les politiques imprévisibles.
Le message encourageant de la réunion du FMI est que l’approche multilatérale du commerce, fondée sur des règles communes appliquées de manière cohérente, n’est pas morte. Mais elle évolue, et cette transition ne sera pas facile. Les États-Unis se sont écartés du système fondé sur les règles, et la rivalité croissante avec la Chine donne naissance à de nouvelles alliances mondiales, qui influencent à leur tour les flux commerciaux et les cadres de coopération. Les notions de “reshoring” (rapatriement de la production) et de “friendshoring” (délocalisation vers des pays alliés) sont devenues les mots-clés de cette nouvelle ère.
Le résultat probable sera l’émergence d’un monde multipolaire dans lequel la Chine jouera un rôle bien plus central. Cette évolution était déjà en cours, mais elle a été fortement accélérée par l’approche imprévisible et nationaliste de l’administration américaine actuelle.
Le système fondé sur des règles tient encore tant bien que mal. Une coopération renforcée entre pays alliés, via des accords bilatéraux, crée de nouvelles opportunités. Mais cette transition vers un monde multipolaire comporte aussi des risques de perturbations supplémentaires, à mesure que la Chine accroît son influence sur la gouvernance commerciale, que les alliances évoluent et que les chaînes d’approvisionnement se réorganisent. Elle offre néanmoins une chance de renouveler les institutions mondiales et de mieux répondre aux déséquilibres sur le marché du travail.
Pour les entreprises, cela signifie qu’elles doivent se préparer à un environnement commercial plus fragmenté. Cela implique de renforcer la surveillance des risques, de diversifier les partenariats commerciaux et d’intégrer davantage de flexibilité dans les chaînes d’approvisionnement.
La croissance du commerce mondial, bien que modeste, montre que les importateurs et exportateurs s’adaptent aux nouveaux défis mais des efforts supplémentaires sont nécessaires. Dans un contexte de risques en constante évolution, les entreprises qui sauront allier résilience et vision stratégique seront les mieux placées pour prospérer.
- L’économie mondiale fait preuve de résilience malgré les tensions commerciales, les bouleversements liés à l’IA et l’instabilité géopolitique.
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Les flux commerciaux évoluent, avec une montée en puissance de l’Asie du Sud-Est, alors que les entreprises s’adaptent aux menaces tarifaires.
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Les risques augmentent : rivalité sino-américaine, restrictions sur les terres rares, marchés surévalués et endettement public.
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Un ordre commercial multipolaire émerge, incitant les entreprises à diversifier leurs activités, à rester agiles et à se préparer à la fois aux perturbations et aux opportunités.