Focus sur les prochaines élections en Turquie

L'actualité d'Atradius

Les prochaines élections en Turquie pourraient marquer un tournant pour l'économie du pays, quel que soit le vainqueur du scrutin.

 

Turkey Bosporus strait

L'économie turque est une situation périlleuse, notamment suite à la politique monétaire menée ces derniers temps. 

Le consensus général parmi les économistes est que la voie actuelle, qui donne la priorité à des dépenses publiques élevées pour soutenir la demande des consommateurs, n'est pas viable. 

La fragilité déjà importante de l'économie a été amplifiée en Février dernier par le tremblement de terre dévastateur qui a frappé les régions du centre et du sud. Le coût humain a été catastrophique, et le coût économique le sera également. 

La situation actuelle de l'économie turque

Malgré les incertitudes, l'économie turque continue de croître, ce qui est un point positif. En effet, elle a relativement bien navigué pendant la pandémie de Covid, avec un rebond de la croissance à 11,4% en 2021.

Ce pic a toutefois été de courte durée. La croissance a chuté à 5,6% en 2022, et nous nous attendons à ce qu'elle diminue encore considérablement, jusqu'à 1,0% cette année.

Une croissance anémique reste une croissance, et 1,0% ne semble pas trop décalé par rapport à l'ensemble de l'Europe. Le problème pour la Turquie est qu'elle s'est entièrement concentrée sur le soutien d'une économie en expansion, la croissance étant promue au rang d'objectif prioritaire de la politique fiscale.

« Ce ralentissement se produit en dépit d'une politique budgétaire expansionniste, avec des investissements publics accrus et des mesures de dépenses sociales visant à soutenir la consommation privée », explique Theo Smid, Economiste chez Atradius. « Ces mesures comprennent une augmentation du salaire minimum, un grand projet de logement social, des subventions au crédit et l'abolition de l'impôt sur le revenu pour le salaire minimum ».

Le prix de l'inflation

Le problème pour le prochain gouvernement sera le poids de l'inflation élevée et de la faiblesse de la lire sur le pouvoir d'achat des consommateurs, malgré les aides gouvernementales.

Lorsque le taux d'inflation atteint 85% d'une année sur l'autre, comme ce fut le cas en Octobre et Novembre derniers, même les généreuses subventions publiques ne sont plus en mesure de soutenir l'expansion économique. Les consommateurs peuvent payer moins d'impôts et ne pas avoir assez d'argent pour acheter autre chose que les biens les plus essentiels.

« Bien qu'elle se soit quelque peu atténuée ces derniers mois en raison d'effets de base favorables, l'inflation reste très élevée", explique Theo Smid. « En Avril 2023, elle était de 44% en glissement annuel. Nous prévoyons une inflation moyenne d'environ 40% en 2023. »

La politique gouvernementale est loin d'être la seule cause de l'inflation galopante. Les prix élevés des matières premières au niveau mondial frappent la Turquie comme partout ailleurs. Mais la politique monétaire ultra-libre et la croissance alimentée par le crédit sont des facteurs importants.

Et, alors que de nombreuses banques centrales s'attaquent à l'inflation en augmentant les taux d'intérêt, la Turquie a pris le chemin inverse. Depuis Septembre 2021, le taux directeur de la banque centrale a été réduit de 10,5%, pour atteindre 8,5% en Mars dernier.

L'affaiblissement de la lire

La lire a été l'une des principales victimes de cette politique, se dépréciant de 34% par rapport au dollar américain depuis Septembre 2021.

Les tentatives de la banque pour soutenir la monnaie ont eu un effet limité. « La banque centrale tente de gérer la pression sur la lire par le biais de contrôles des capitaux et d'interventions sur les marchés des changes », explique Theo Smid. « Cependant, sa capacité à intervenir sur le marché des devises est limitée par le montant restreint de ses réserves de change. »

Dans ce contexte, nous nous attendons à ce que la lire se déprécie progressivement par rapport aux autres grandes monnaies en 2023-2024.

Les pressions extérieures

En outre, les exportations ralentissent, avec une contraction prévue de 0,8% cette année. La région touchée par le tremblement de terre de Février dernier représente 9,3% du PIB de la Turquie. Selon Oxford Economics, la catastrophe pourrait affecter le PIB de 0,3 à 0,4%.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que la Turquie ait d'importants besoins de financement extérieur, pour couvrir les remboursements de la dette et soutenir les comptes courants. Nous prévoyons que ce besoin de financement extérieur passera de 245 milliards d'USD en 2022 à 267 milliards d'USD en 2023-24. Cela représente plus de 30% du PIB de la Turquie.

« Pour répondre à son besoin de financement, la Turquie s'appuie principalement sur des emprunts à court terme, ce qui la rend vulnérable à une crise de la balance des paiements dans les années à venir », explique Theo Smid. Les entreprises privées pourraient éprouver des difficultés à assurer le service de leur dette élevée en devises étrangères.

L'état des industries turques : un tableau contrasté

Les entreprises turques sont confrontées à des incertitudes dont une inflation élevée, une augmentation des coûts des matières premières et des coûts d'exploitation et un accès limité au financement. Mais certains secteurs restent robustes.

Les secteurs des produits pharmaceutiques, de la production alimentaire et de la vente au détail de produits alimentaires se portent toujours bien, et le secteur automobile, orienté vers l'exportation, dépasse actuellement les attentes. Dans le secteur de la vente au détail de biens de consommation durables, les volumes de vente ont également augmenté en 2022.

Les importateurs se sont relativement bien débrouillés jusqu'à présent dans un environnement où la pression sur les taux de change leur permet de vendre des biens importés sur les marchés nationaux en réalisant des bénéfices importants. Mais cette situation pourrait changer si la valeur de la lire se détériore davantage.

De leur côté, les exportateurs subissent les mêmes pressions du taux de change, en plus de l'augmentation des coûts et du ralentissement des marchés cibles. Le fait que les exportateurs doivent convertir jusqu'à 40% de leurs recettes d'exportation en devises étrangères en lires turques pèse également sur les bénéfices.

Le risque de crédit est un problème pour de nombreuses entreprises, en particulier dans le secteur de la construction. Les entreprises sont très endettées et doivent faire face à une augmentation des coûts d'emprunt. La construction de logements continue de diminuer en raison de l'augmentation des coûts de construction et de l'accès réduit des entreprises au financement. Du côté des consommateurs, les problèmes persistants d'accès aux prêts hypothécaires pèsent également sur la demande.

Le secteur pourrait recevoir un coup de pouce limité avec des projets de reconstruction dans la région du tremblement de terre, mais des règles strictes pourraient être imposées aux entreprises désireuses de remporter des contrats.

Le tremblement de terre a également perturbé une grande partie de l'industrie textile turque, qui est fortement concentrée dans les régions touchées. Avec des volumes et des valeurs d'exportation déjà en baisse, c'est un coup dur.

Quelle différence l'élection fera-t-elle ?

Dans ce contexte, les vainqueurs des prochaines élections seront confrontés à une économie très vulnérable et à une série de dilemmes politiques.

« Nous pensons que la direction actuelle n'est pas viable et que la nouvelle administration devra suivre une voie plus conventionnelle pour maîtriser l'inflation et réduire les déséquilibres extérieurs de la Turquie », déclare Theo Smid.

Cela signifie une réduction des dépenses publiques et, de la part de la banque centrale, une politique monétaire visant à stabiliser la lire.

Rien de tout cela ne sera facile, même si cela est nécessaire. « L'ampleur des défis économiques et la profondeur des vulnérabilités extérieures garantissent que tout passage à des politiques plus conventionnelles sera un processus difficile et graduel », ajoute Theo Smid.

« Une hausse des taux d'intérêt serait la première étape vers la maîtrise de l'inflation, le retour de la confiance des investisseurs et la reconstitution des réserves de change. Mais cela pourrait également entraîner la première contraction annuelle de l'activité économique depuis 2009. »

L'économie turque est à la croisée des chemins. Pour instaurer la stabilité, le prochain gouvernement devra peut-être prendre des décisions difficiles et impopulaires en matière de taux d'intérêt et de dépenses publiques. Même s'il y parvient, le chemin de la reprise sera probablement long et difficile.

Pour plus de détails sur l'économie turque et ses perspectives post-électorales, consultez notre Note de recherche économique.