Dans un environnement difficile pour le commerce de détail, le Black Friday apportera-t-il un soulagement au secteur ? Nous tâtons le terrain sur six grands marchés.
Les commerçants du monde entier se préparent au Black Friday avec un mélange d'espoir et d'inquiétude.
Cette journée d'offres et de remises est devenue un élément incontournable du calendrier commercial et est considérée comme le début de la période cruciale des achats de Noël.
Le Black Friday tombe le 25 novembre cette année, et se poursuit tout le week-end jusqu'au Cyber Monday (une journée de vente plus axée sur la technologie), mais les commerçants commencent souvent à casser les prix plusieurs jours, voire des semaines à l'avance, pour profiter au maximum de la période.
Il est important qu'ils le fassent, surtout en 2022. Les ventes au détail devraient se contracter en glissement annuel sur cinq des six marchés importants cette année (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas et Espagne), seule la France enregistre une légère hausse. Les ventes devraient à nouveau se détériorer sur chacun de ces marchés, à l'exception de l'Espagne, en 2023.
Ce n'est guère surprenant, compte tenu des tendances économiques générales. La croissance des salaires est négative dans tous les pays et l'inflation augmente dans le monde entier. Les consommateurs réagissent en réduisant les dépenses non essentielles.
Un bon Black Friday est donc primordial cette année. Ici, les analystes Atradius de ces six marchés clés donnent leur avis sur ce que les commerçants peuvent attendre du Black Friday et après.
France - les commerçants souffriront de marges réduites
"En France, nous nous attendons à une baisse des ventes à la fois pour le Black Friday et pour la saison de Noël en général, en particulier sur les articles non essentiels", déclare Axelle Martin, Responsable risques pour Atradius en France.
"Certains détaillants ont augmenté leurs stocks en raison de problèmes d'approvisionnement (liés à la pandémie), mais avec des ventes plus faibles que prévu, cela va peser sur leurs finances. Les marges seront encore réduites par des rabais supplémentaires", dit-elle.
Une tendance intéressante est la résilience relative des magasins physiques. Au cours du premier semestre 2022, les ventes numériques d'équipements ménagers ont chuté de 16 %, mais seulement de 3 % dans les magasins physiques. Les ventes de vêtements ont également été nettement plus soutenues en magasin qu'en ligne.
Néanmoins, la plupart des détaillants souffriront d'une baisse des ventes et d'une compression des marges, à court et moyen termes. "Nous prévoyons une hausse des retards de paiement et une augmentation annuelle des défaillances d'environ 30 % en 2023, touchant principalement les petits acteurs", indique Axelle.
Selon elle, les détaillants doivent trouver le bon équilibre entre les ventes et les marges pour prospérer sur un marché difficile. En outre, les produits innovants, les programmes de fidélisation, les stratégies omni canales et la transformation numérique contribueront à atténuer les effets de la hausse de l'inflation. "Des offres spéciales bien jaugées pour des événements clés comme le Black Friday seront essentielles", ajoute Axelle Martin, "parallèlement à la surveillance étroite des stocks et du BFR."
Allemagne - les petits détaillants luttent contre les coûts
Comme ailleurs, les dépenses de consommation sont en baisse en Allemagne. "Les détaillants ne s'attendent pas à battre des records lors du Black Friday", déclare Nicole Bludau, Responsable risques chez Atradius Allemagne.
Les produits électroniques devraient être les plus plébiscités, et les rabais pourraient être élevés chez les détaillants qui doivent vider leurs entrepôts des stocks excédentaires. D'autres ont le problème inverse, indique Nicole : "Il y a des retards de livraison pour les marchandises en provenance d'Asie, et les coûts de fret ont augmenté en 2022."
L'Allemagne a connu une certaine reprise du commerce de détail physique lorsque l'économie s'est ré-ouverte après Covid, bien que les petits détaillants se battent contre la hausse des coûts. "Nous nous attendons à ce que les défaillances des commerces de détail augmentent d'environ 25 %, en glissement annuel, en 2023", indique Nicole.
Elle conseille aux détaillants de ne pas rogner sur leurs marges dans leur quête de ventes. "Il sera plus important d'être en mesure d'offrir un très bon rapport qualité-prix", dit-elle. "En raison de la restriction du comportement des consommateurs, ils vont certainement se concentrer davantage sur la qualité."
Pays-Bas - 2023 sera difficile pour les détaillants
Aux Pays-Bas, les détaillants sont confrontés aux mêmes pressions qu'ailleurs en Europe. "On observe depuis quelque temps une baisse des ventes de biens de consommation plus chers", explique Resul Ozdemiroglu, Analyste risques chez Atradius Pays-Bas. "Depuis septembre, les ventes de mode ont également diminué".
On espère que la première Coupe du monde en hiver (qui coïncide avec le Black Friday) pourra relancer les ventes de téléviseurs, mais en général, les consommateurs sont susceptibles de retarder les achats importants jusqu'à ce que l'économie s'améliore. Attendez-vous à des remises élevées sur les articles invendus début 2023.
Sur une note plus positive, les problèmes d'approvisionnement sont rares. "Les coûts de transport et de fret se sont plus ou moins normalisés", indique Resul.
Mais 2023 sera difficile pour le secteur, et Resul prédit une hausse des retards de paiement et une forte augmentation des défaillances d'entreprises de vente au détail, en particulier parmi les petits détaillants physiques, 2021 a été une année historiquement basse pour les défaillances.
La clé de la survie sera le flux de trésorerie. "Les détaillants doivent se concentrer sur leur structure de coûts et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour encourager les flux de trésorerie", déclare Resul.
Espagne - escompte agressif prévu
En Espagne, les détaillants s'attendent à un Black Friday légèrement plus calme que l'année dernière. "Le niveau des dépenses devrait être similaire à celui de l'année dernière en raison de l'effet de l'inflation, mais en termes réels, moins d'unités seront vendues", selon Atradius Espagne.
Ce sont les produits à prix élevés qui souffriront le plus, car les consommateurs se serrent la ceinture, laissant certains détaillants avec un stock excédentaire. Nombre d'entre eux ont renforcé leurs stocks à la suite des problèmes d'approvisionnement liées à la Covid, on peut donc s'attendre à des remises agressives. "Cela pourrait entraîner une baisse des marges et une aggravation du risque de crédit", indique Atradius Espagne.
L'augmentation du commerce en ligne observée pendant la pandémie est désormais une tendance structurelle qui devrait se poursuivre, mettant en danger les petits détaillants traditionnels. L'innovation sera la clé de la survie.
"Développer des canaux numériques efficaces est désormais une nécessité", affirme Atradius Espagne. "Les petits détaillants devraient se spécialiser et se concentrer sur l'amélioration de l'expérience d'achat, en magasin et en ligne."
Royaume-Uni - une tempête parfaite en perspective ?
Au Royaume-Uni, la crise du coût de la vie signifie que le Black Friday et la saison de Noël à venir pourraient être "décisifs" pour de nombreux détaillants, selon Owen Basset, Directeur des risques Atradius Royaume-Uni.
"Les conditions auxquelles les détaillants sont actuellement confrontés mettent à l'épreuve même les plus résistants d'entre eux, qu'ils exercent leur activité en ligne, dans les magasins ou les deux", dit-il.
La récession affectera tous les domaines du secteur, et les problèmes de chaîne d'approvisionnement et de logistique ajoutent au sentiment d'adversité. "De nombreux avertissements sur les bénéfices ont déjà été émis par les détaillants britanniques cotés en bourse, en raison de la pénurie de chauffeurs de poids lourds et des coûts de la chaîne d'approvisionnement, du fret et de l'énergie", explique Owen.
Tout cela constitue une sorte de tempête parfaite pour le secteur, et l'on observe déjà une forte hausse des défaillances. "En 2023, une augmentation à deux chiffres par rapport à l'année précédente n'est pas à exclure", ajoute Owen.
Etats-Unis – Une réalité plus rose qu’en Europe
Aux États-Unis, on est plus optimiste quant aux perspectives du Black Friday. "Les dépenses de vacances devraient être saines, même avec les récents défis inflationnistes", déclare Marjorie Weinberg, Arbitre Senior chez Atradius US.
La National Retail Federation prévoit une augmentation des dépenses de vacances par rapport à 2021.
"Les consommateurs ressentent la pression, mais ils restent résilients et continuent à consommer", ajoute Marjorie.
L'électronique est une catégorie en stock excédentaire, on peut donc s'attendre à des remises agressives, mais les vêtements pourraient être l'article de vente le plus populaire cette année. "Les remises sur les vêtements, les chaussures et les accessoires sont à leur plus haut niveau depuis au moins trois ans", déclare Marjorie.
La principale préoccupation de nombreux détaillants américains est qu'ils sont assis sur un surplus de stocks qu'ils ne peuvent pas vendre. En réaction aux problèmes de chaîne d'approvisionnement liés à la pandémie, les stocks ont atteint des niveaux record dans l'ensemble du secteur. Cela se traduira par des coûts de stockage plus élevés et des marges plus faibles.
Les problèmes de chaîne d'approvisionnement sont toujours évidents et les goulets d'étranglement sont fréquents. Les coûts du fret, du carburant et de la main-d'œuvre ont augmenté. "Les problèmes de chaîne d'approvisionnement pourraient coûter aux marques nord-américaines de vêtements et de chaussures entre 9 et 17 milliards de dollars de perte d'EBITDA en 2022", selon Marjorie.
Le commerce électronique devrait poursuivre sa récente progression, avec une croissance de 10 à 12 %. Mais les magasins physiques pourraient également recevoir un coup de pouce, car les familles reviennent à l'expérience d'achat traditionnelle pour les fêtes après les fermetures dues à la pandémie.
Si le tableau est un peu plus rose aux États-Unis qu'en Europe, de nombreux petits détaillants physiques, en particulier, sont en difficulté. Les retards de paiement et les défaillances devraient augmenter en 2023. Ceux qui survivront trouveront un équilibre entre efficacité et expérience client. "Les détaillants peuvent encore bénéficier de l'innovation en matière de commodité et pourraient vouloir se pencher sur la personnalisation en magasin pour se différencier sur le marché", déclare Marjorie.