Malgré la hausse de l'inflation dans la zone euro, nous pensons qu'elle ne s'est pas encore éloignée de l'objectif de la BCE à moyen terme
- L'inflation dans la zone euro est élevée et bien supérieure à l'objectif de 2 % fixé par la Banque Centrale Européenne.
- Le taux d'inflation élevé actuel est largement alimenté par des facteurs liés à la pandémie et par les augmentations des prix de l'énergie liées à la guerre Russie-Ukraine. Nous observons également que les anticipations d'inflation devraient toutefois rester en ligne avec le taux cible officiel de la BCE. Cela nous incite à penser que l'inflation va baisser à court terme. Un simple exercice de calcul confirme cette image.
- Nous concluons que les projections d'inflation à moyen terme devraient rester en ligne avec l'objectif officiel de la BCE et que la politique d'intervention modérée actuelle semble adaptée.
La BCE met fin à l'attentisme
La hausse exceptionnelle de l’inflation est le sujet économique brûlant du moment. En juin, l'inflation dépassait les 11 % aux Pays-Bas ; pour la zone euro, elle était de près de 9 %, ce qui constitue certainement un record. Il est également certain que les retombées économiques de l'inflation se font sentir, notamment sur le pouvoir d'achat des ménages à faibles revenus. La question est de savoir combien de temps cette forte inflation va durer. Ces derniers mois, les prix de l'énergie se sont envolés (voir figure 1), les événements géopolitiques jouant un rôle majeur. Si la pression sur ces prix s'atténue, l'inflation diminuera également. En principe, les autorités monétaires ne devraient alors pas avoir à intervenir beaucoup, voire pas du tout.
Mais la BCE a décidé de ne plus attendre. Lors de sa conférence de presse du 9 juin, elle a annoncé son intention de relever ses taux directeurs de 0,25 % en juillet et de mettre fin à son programme d'achat d'obligations. En outre, elle a indiqué une nouvelle hausse des taux d'intérêt en septembre, cette fois de 0,5 %. Mais cela dépendra de l'évolution de l'inflation.
Dans cet article, nous allons examiner l'inflation dans la zone euro. À l'aide de calculs simples, nous expliquerons comment, à notre avis, le niveau élevé d'inflation actuel dans la zone euro ne se maintiendra pas. La principale raison de ce point de vue est qu'il est peu probable que l'explosion des prix de l'énergie se reproduise. De plus, le chômage dans la zone euro, qui est loin d'être négligeable (plus de 7%), pèse sur les hausses des salaires, limitant ainsi les effets de rebond de l'inflation. À cet égard, la BCE agit comme un verrou sur la porte. Certes, les anticipations d'inflation augmentent, mais elles ne se sont pas encore éloignés de l'objectif officiel de 2%.
L’impact majeur de la hausse des prix de l'énergie
Les prix de l'énergie ont joué un rôle majeur dans la forte hausse de l’inflation ces derniers mois (graphique 2). Pourtant, cette composante ne représente qu'une part relativement limitée (11%) de l'indice total des prix. Cependant, en glissement annuel, la composante énergie a augmenté de 42% en juin, ce qui a eu un effet très important sur l'indice total des prix. Ainsi, près de la moitié de l'inflation de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en juin de cette année (4,0 points) peut être attribuée à la hausse des prix de l'énergie. L'alimentation (y compris l'alcool et le tabac) a représenté 1,9 point, et l'inflation sous-jacente s'est élevée à 2,6 points.
Si l'on se concentre sur l'augmentation de ces catégories individuelles, les chiffres sont encore plus spectaculaires : outre les 42 % pour l'énergie (en glissement annuel), on observe 8,9 % pour l'alimentation et 3,7 % pour l'inflation sous-jacente. Il est clair que l'inflation ne concerne pas seulement les prix de l'énergie, les prix des denrées alimentaires ont également augmenté et même l'inflation sous-jacente est actuellement bien supérieure à 2 %.
La hausse des prix de l'énergie et des denrées alimentaires peut être considérée comme temporaire. Cependant, lorsque l'inflation sous-jacente augmente, c'est le signe que l'inflation s’étend vers le reste de l'économie. De plus, l'inflation sous-jacente est déjà supérieure au taux cible de 2 % depuis octobre 2021. Cela aura également joué un rôle dans la décision de la BCE d'ajuster ses prévisions d'inflation à la hausse pour 2022 et 2023. Cela dit, on s'attend toujours à ce que l'inflation diminue, une considération qui se reflète dans l'ampleur modérée de l'intervention de la BCE.
Les raisons de la baisse de l'inflation
Bien que la BCE ait pris en compte une baisse de l'inflation, elle n'en a pas donné les raisons spécifiques dans son communiqué de presse. Mais bien sûr, elle a ses raisons. Nous examinerons d'abord les arguments en faveur de cette opinion. Nous présenterons ensuite nos calculs, basés sur notre argument principal : une répétition de la hausse des prix de l'énergie peu probable.
Premièrement, les facteurs sous-jacents qui ont permis de maintenir une inflation modérée au cours des dernières décennies n'ont pas disparu. Tout au plus, ils ont été quelque peu affaiblis par la pandémie. Ces facteurs sont les suivants : (i) la mondialisation, qui pèse sur les prix grâce à la concurrence d'un plus grand nombre de fournisseurs ; (ii) la numérisation, qui rend la tarification plus transparente ; (iii) la faible croissance des salaires, due à la faible participation au marché du travail, au déclin de l'affiliation syndicale et à la concurrence des travailleurs étrangers, en partie par le biais des migrations ; et (iv) le vieillissement de la population, qui entraîne une baisse de la demande globale, les dépenses de consommation diminuant avec l'âge. Si la mondialisation (et les migrations) se sont peut-être un peu calmées sous la pression de la pandémie et des tensions géopolitiques, un retour en arrière de la mondialisation semble hors de question.
Deuxièmement, la hausse de l'inflation à partir du second semestre 2021 a été initialement déclenchée principalement par la reprise de l'activité économique après la pandémie. Pendant la pandémie, la demande globale a été soutenue principalement par le soutien des gouvernements. Mais comme les services tels que l'hôtellerie, l’événementiel et le tourisme étaient pour la plupart fermés, la demande s'est déplacée vers des biens tels que l'électronique, les appareils ménagers et les articles de sport (de plein air). La pression sur la chaîne d'approvisionnement internationale s'en est trouvée accrue, ce qui s'est traduit par de longs délais de livraison et des hausses de prix. Il y a eu des embouteillages dans les transports, notamment dans le transport maritime, ce qui a également fait grimper les prix. Maintenant que la pandémie est devenue plus endémique par nature et que la plupart des secteurs ont rouvert, la demande de services va augmenter. La demande relative de biens diminuera, tout comme la pression sur les chaînes internationales d'approvisionnement et de transport.
Ainsi, une source de l’inflation perdra sa force. Ce processus sera encore renforcé par une baisse de la demande due à la réduction du pouvoir d'achat - elle-même un résultat direct de l'inflation. Les premiers signes de ce processus sont déjà visibles dans le relâchement de la pression sur la chaîne d'approvisionnement (figure 3).
Troisièmement, pour l'évolution future de l'inflation, il est important que l'inflation actuelle soit suffisamment absorbée par les agents économiques pour éviter de nouveaux déséquilibres dans l'économie. À cet égard, l'évolution des salaires est cruciale. Il est important que les entreprises ne supportent pas entièrement ou en grande partie la charge de l'inflation, car elles déclencheraient alors une spirale de hausse des prix et des salaires. Jusqu'à présent, ce n'est pas le cas dans la zone euro. Les hausses de salaires restent limitées à environ 3% (graphique 4).
Ce chiffre est bien en deçà du taux d'inflation de 8 % et freinera toute tendance des entreprises européennes à soutenir les prix. Dans le processus de négociation salariale, il est important de prendre en compte les questions susmentionnées, telles que la pression inflationniste inchangée des facteurs sous-jacents et la détente de la pression dans les chaînes d'approvisionnement. Le rôle de la BCE en tant que gardien de l'euro joue également un rôle : les acteurs économiques s'attendent-ils à ce que la BCE soit finalement capable de garantir la stabilité des prix par une réponse politique adéquate ? Ces éléments se rejoignent dans les anticipations d'inflation. Bien que celles-ci aient augmenté, elles ne suscitent pas actuellement d'inquiétude excessive (graphique 5).
L'image générée par ce raisonnement est celle d'une inflation qui n'est pas durable à son niveau élevé actuel. Nos calculs, qui reposent sur une hausse temporaire des indices de l'énergie et des denrées alimentaires, viennent étayer ce constat.
Les calculs confirment les graphiques
Nous calculons l'inflation attendue de juin 2022 à fin 2023 de manière simple. Il s'agit de regarder les variations en pourcentage d'une année sur l'autre de l'indice mensuel - par exemple la différence entre juin 2022 et juin 2021. Nous avons adopté l'approche suivante :
Pour la période concernée, nous avons calculé l'indice des prix des composantes énergie, alimentation (y compris alcool et tabac) et de base. La prémisse de base pour l'évolution des indices de l'énergie et des denrées alimentaires à partir de juin 2022, est la moyenne de la hausse du sous-indice pour la période 2015-2019. Ainsi, notre conclusion est que l'état actuel de l'évolution des prix de l'énergie et des denrées alimentaires ne peut pas durer. Nous allons expliquer pourquoi.
En ce qui concerne les prix de l'énergie, nous nous basons sur la raison sous-jacente de la récente hausse des prix : la guerre en Ukraine, et en particulier les sanctions qui en découlent. Celles-ci ont poussé les prix du pétrole et du gaz à des sommets sans précédent. Toutefois, pour que la hausse se poursuive, il faudrait un deuxième choc, comme une perturbation majeure de l'approvisionnement en pétrole et en gaz de la Russie. Il pourrait s'agir d'un boycott effectif du pétrole russe ou de la fermeture par la Russie de l'approvisionnement en gaz de l'Europe. Toutefois, nous ne pensons pas que cela se produise pour l'instant. Certes, avec son sixième train de sanctions, l'UE s'est alignée sur le boycott pétrolier du G7, mais le boycott de l'UE ne prendra pas effet avant six mois. En outre, le G7 s'efforce de limiter l'effet des sanctions sur les prix du pétrole. Oui, il semble que la Russie réduise ses livraisons de gaz. Mais il est très douteux que les livraisons de gaz soient totalement arrêtées ; il n'est certainement pas dans l'intérêt de la Russie de perdre cette source d'argent facile - surtout aux prix élevés actuels - pour financer sa guerre. Les actions de la Russie à cet égard pourraient prolonger les turbulences sur les marchés de l'énergie. Toutefois, nous partageons les prévisions de la Banque mondiale et de l'OCDE selon lesquelles les prix de l'énergie vont progressivement se stabiliser. Il en va de même pour les prix des denrées alimentaires, la pression exercée sur l'offre par les problèmes de production et de livraison en Ukraine étant absorbée par la montée en puissance de la production dans d'autres pays, comme les États-Unis, l'Argentine et le Brésil.
La figure 6 montre le résultat des calculs : l'inflation de la zone euro aura atteint un pic en juillet de cette année et le taux glissera progressivement jusqu'à la fin de l'année, suivi d'une accélération de la tendance à la baisse à partir du début de 2023. Cela aboutira à une inflation d'un peu plus de 2 % à la fin de 2023.
Juste pour donner une idée de l'effet du calcul : en juin, l'indice énergétique s'élevait à 156 et nous estimons qu'il atteindra 160 à la fin de 2023. L'inflation des denrées alimentaires passera de 121 à 124. Ces chiffres représentent des augmentations de 2,5 % et 2,4 % respectivement. Nos estimations de l'inflation de base sont basées sur une période plus courte et plus récente, à savoir la hausse moyenne du sous-indice de juillet 2020 à juin 2022. Nous tenons compte d'un effet de second tour de l'inflation actuelle ainsi que de la pression sous-jacente (à la baisse) sur l'inflation que nous avons expliquée ci-dessus. Pour la période de prévision jusqu'à fin 2023, l'indice d'inflation de base passera de 111 à 114, ce qui représente une augmentation de 3,3 %. Pour calculer l'IPCH, nous avons utilisé les pondérations des sous-indices de juin 2022.
Le graphique montre clairement que la composante énergétique joue un rôle surdimensionné dans l'inflation actuelle. Cet effet est évident au vu du sous-indice (attendu) de l'énergie qui, selon nos calculs, atteindra 157 en décembre 2022, soit une hausse de 26 % par rapport à l'indice de décembre 2021. Toutefois, si nous examinons l'indice de mars 2023 et le comparons à celui de mars 2022, qui s'élevait à 154, nous constatons une hausse, c'est-à-dire une inflation, d'un peu plus de 2 %. En d'autres termes, le pic inflationniste de 2022 est assorti de son image miroir, à savoir une baisse en 2023. Il s'agit d'une conclusion mathématique simple, mais puissante, qui ne nécessite aucune autre hypothèse. L'inflation élevée actuelle n'est pas là pour rester.
Nos calculs aboutissent à un IPCH moyen de 7,9 % en 2022 et de 3,5 % en 2023, avec une inflation sous-jacente de 3,6 % et 2,9 % respectivement. En comparaison, la BCE prévoit un IPCH de 6,8 % et 3,5 % respectivement pour 2022 et 2023 avec une inflation sous-jacente moyenne de 3,3 % et 2,8 %. Ainsi, les anticipations d'inflation ne se sont pas encore éloignées du taux cible officiel et la politique modérée actuelle de la BCE semble justifiée.
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